Je connais une petite fille qui, à cinq ans, a été obligé par sa maitresse de classe maternelles à se tenir dans la cour d'école devant tout le monde. Cette même maîtresse lui a ensuite dis, à elle et ses camarades comme elle, qu'ils étaient responsables d'un massacre commis quelques années auparavant.*
Je connais une petite fille à laquelle on a interdit de parler la langue de sa grand mère et de ses parents avec ses camarades dans la cour d'école. Elle s'en est tiré, mais beaucoup des enfants de sa génération n'en ont jamais pu parler à leurs grands-parents, faute de maîtrise de cette langue.
Je connais une jeune fille qui a appris à effacer le gros accent de son pays, car il lui faisait tord dans sa carrière.
Je connais une jeune femme qui, lorsqu'elle appelait le rectorat à Paris, entendait toujours malmener son nom. Jamais d'excuse par ailleurs, car "ce n'était pas français, un nom comme ça".
Je connais une femme qui a été soupçonnée toute sa vie, et toute sa carrière au service de l'état, de ne pas être assez française. À cause d'où elle venait, mais surtout, parce qu'elle refusait de ne pas en venir.
Cette fillette, cette fille, cette femme, c'est mère, née dans le bas Rhin en 1944. Ma mère, qui parle le dialecte, dont le nom de jeune fille est inévitablement germanique, qui aime la musique allemande autant que la littérature française.
L'histoire de ma mère, c'est l'histoire de tout Alsaciens né entre 1918 et 1950. C'est l'histoire de tout une génération qu'on a soupçonné à cause de leur accent, de leur nom, de leur dialecte, de leur religion (trop protestant, trop fier du régime concordataire) de ne pas être assez français. Ça vous dit quelque chose?
Les gens, comme Marine Le Pen et son parti, qui prétendent pouvoir définir ce que sont la France et les Français, ne serons jamais les amis de l'Alsace, avec son gros accent, sa cuisine bizarre, ses noms imprononçable comme Breuschwickersheim ou Hammerschwir. Et j'ose suggéré même que les Alsaciens devraient être solidaire avec tous les Français ou pas encore français que l'on réprouve parce qu'ils ne ressemblent pas assez à ceux représentés dans une histoire de France de 1950. Les Français d'origine turques, les Français d'origine algérienne, les Français d'origine malienne, ainsi que les Français gay, lesbiennes, et transgenres, luttent pour ce pour quoi ma mère a luttée, et ce pour quoi moi, franco-alsaco-britannique homosexuel je lutte aussi: le droit d'être reconnu Français à part entière sans abandonner qui je suis, le droit d'être français et de parler "wie der Schnawwel-ne gewochsn isch".
Je pourrais rappeler d'autre faits: qu'un tiers des Alsaciens travaillent outre Rhin. Ou que le petit village où ont habité mon arrière grand mère, ma grand mère et ma tante fut entièrement rasé en 1918 lors de la bataille du col de la Schlucht, et que la génération de mes grands parents se sont toujours attendu à ce que cela se répète. Si ça n'a pas eu lieu, si l'Alsace a cessé être terre de convoitise identitaire, si, enfin, le monde lui a foutu la paix, c'est à cause de l'Europe, que rejette maintenant Marine Le Pen.
La définition étroite de ce que c'est qu'être français a toujours fait tord à l'Alsace, et à la France. Défiez là en renonçant au front national, et en embrassant l'ouverture et l'espoir de quelques chose de nouveau.
*Le massacre, c'est Oradour sur Glane.